Qui se cache derrière la barbe du Père Noël ?
« Tu crois au Père Noël ! » Combien de fois n’avez-vous entendu cette expression, dite sur un ton de commisération teintée de sarcasme ? Immanquablement, on veut signifier par-là que vous êtes crédule, que vous prenez vos désirs pour des réalités, en un mot : que vous vous trompez. Or dans le cas présent, c’est précisément votre interlocuteur qui se trompe ! Car en effet, le Père Noël existe : je l'ai rencontré. Mais qui se cache sous la barbe blanche et le bonnet rouge ?
Pour comprendre qui est le Père Noël, il nous faut remonter à une époque où, si vous l’eussiez appelé ainsi, il ne vous eût pas répondu. Intéressons-nous donc à un certain Balthazar Emile du Chiendent de Léon, qui grandit dans une famille noble, mais ruinée. Le pseudonyme Noël, qu’il se choisira plus tard, n’est rien d’autre que l’inversion du nom Léon.
Devenu adulte, le jeune homme dut se choisir un état. Ses parents lui conseillèrent alors de se faire soldat ou prêtre. « Je me ferai prêtre, c’est entendu, s’écria-t-il ! Mais afin de connaître la pauvreté de l’intérieur, je veux partager le sort du peuple : je serai ramoneur ! »
Emile de Léon reçut donc les ordres mineurs, majeurs, puis ramoneurs, et débuta chez Zurflüh et fils, ramoneurs, où il acquit sa proverbiale habileté à pénétrer dans les cheminées. Son rude métier ne fut pas longtemps à lui apprendre que ses vêtements noircissaient considérablement au contact de la suie. Il mit donc au point une lessive aux enzymes, qui avait ceci de génial qu’elle prévenait l’apparition de la salissure, au lieu de la combattre a posteriori. Il suffisait de verser sur ses vêtements, chaque matin, une poudre blanche, délicatement parfumée à l’opoponax et à l’huile de hamster, pour que les enzymes attaquassent la saleté avant même qu’elle ne se déposât sur l’habit. La lessive préventive était née, que le Père Léon baptisa simplement Ramona, en hommage aux circonstances qui l’avaient vue naître. Grâce à Ramona, les ouvriers restaient aussi blancs et fringants la nuit, après leur dur labeur, que le jour. Le fameux refrain du chanteur Ringo n’a pas d’autre origine : Ramona, Ramona / Tu me fais passer des nuits blanches.
Ringo interprétant Ramona
C'est à cette époque que je fis la connaissance du Père Léon lors d'un congrès sur l'évolution des enzymes à travers les âges. Je fus surpris de voir qu'un simple autodidacte puisse être doué d'un tel esprit scientifique et je sympathisai aussitôt avec le brillant homme.
Plus tard, comme il cherchait à disposer d’une somme suffisante pour faire progresser ses recherches, il vendit son brevet à la société Zurflüh. Mal lui en prit, car en peu de temps, Ramona fut si universellement adoptée par la collectivité des ramoneurs, et plus généralement par tous les travailleurs de force, qu’elle engendra des bénéfices par millions, dont il ne profita point.
Au moins, notre cher Emile eut-il la satisfaction d’inspirer une version nouvelle de la devinette yiddish bien connue : « Quand deux ramoneurs passent par la cheminée et que l’un sort tout noir, tandis que l’autre sort tout blanc, lequel doit se laver ? » Les braves gens répondent en cœur : « Celui qui sort tout noir doit se laver, car n’est-il pas sale ? » Ce à quoi l’on a beau jeu de répondre : « Que nenni ! C’est celui qui est tout blanc qui, voyant son camarade tout noir, se croit noir lui aussi et va donc se laver. » Désormais, grâce au Père Léon, il devenait possible de piéger à son tour son astucieux contradicteur, en rétorquant : « Celui qui est tout blanc n’a pas lieu de se croire tout noir, car il sait bien qu’il s’est saupoudré de Ramona ! »
Toujours avide de connaître l’homme dans son ondoyante diversité, le Père Léon s’engagea à soixante-cinq ans et demi dans une société de livraison à domicile, McRood et fils. Bientôt, ses employeurs constatèrent que les familles, et les enfants plus que tout, appréciaient sa bonhommie, sa franche et cléricale simplicité. On lui confia le département des jouets.
Une veille de Noël, jour de plus forte livraison pour les jouets, une tempête de neige s'abattit sur la région. La fourgonnette du Père Léon, percluse de verglas, refusa de démarrer. J’eus le privilège d’être présent auprès de mon ami ce jour-là, et d’assister à l’étrange scène que voici. Emile de Léon avisa un couple de rennes qu’il avait dans la petite campagne bordant son cloître. Nous les attelâmes joyeusement à un traineau de fortune, et c’est alors qu’Emile fit sa seconde et prodigieuse invention, aidée quelque peu, il est vrai, par le destin. Jugez plutôt : pour rattraper le retard que lui avait causé sa mésaventure fourgonnesque, il appliqua à son attelage de discrets petits moteurs à protoxyde d’azote mordoré ; mais le froid vif de cet hiver les dota d’une puissance si terrible, qu’au lieu d’accélérer seulement la course de ses rennes, ils projetèrent ceux-ci dans les cieux, en un féérique élan. Que des rennes s’envolent avec élan, là n’est pas la moindre poésie de l’affaire. Emportés dans l’atmosphère avec une énergie supérieure ou égale à x³ - cos∆ + √∏ telle que ∑∂f + ⅞ ∞/≈ x = ∫2y ≠ z, nous découvrîmes, à quelques 600 mètres d’altitude, les plaines de la Beauce dans leur splendeur tout hivernale. Le Père Noël était né.
La première livraison du Père Léon, alias le Père Noël
Au cours de sa trépidante carrière de livreur de jouets, il arrivait au Révérend Noël de s’autoriser une petite pause : pour passer agréablement son temps, il se prêtait à des séances de photographie dans les centres commerciaux.
C'est en effet dans ces temples du loisir et du lèche-vitrine que l’on prit l’habitude, durant les vacances de fin d’année, de faire poser les enfants en compagnie de mon singulier ami, vêtu de sa légendaire houppelande rouge bordée d’hermine. Or on s’aperçut bientôt que les parents de ces chérubins n’avaient pas toujours le temps de revenir chercher les clichés une fois développés, deux jours plus tard.
Pour que de si charmants souvenirs ne fussent point perdus pour les familles, Emile introduisit, un jour qu'il officiait au Centre Commercial régional de Rosny 2, trois gouttes de sauce chop-suey (riche en acides gras photogénétiques) entre l’obturateur et le mélange gélatine/sels d’argent, ce qui produisit, à l’étonnement de tous, un développement instantané de l’image. Point n’est besoin de vous narrer la fortune que connut ensuite la photographie instantanée, dite Instant Splash © ; mais rendons justice au Père Noël, en lui reconnaissant la paternité de cette belle invention.
Après avoir défendu le jouet français par la vigueur de ses multiples trouvailles et illustré l’Eglise de France par l’insigne profondeur de ses sermons, le Révérend-Père Noël goûte aujourd’hui un juste repos dans sa propriété de Sainte-Arlette-lès-Hamsters.
Mais même à la retraite, rien ne peut arrêter ce puissant innovateur : il a en effet créé sa propre marque d’huile biologique, garantie sans pesticides de synthèse ni engrais chimique, les huiles Emile Noël, qui n’ont pas leur pareil pour égayer vos salades et vos grillades.
Quand on parle du Père Noël, on pense surtout à une longue barbe blanche et à une hotte débordant de poupées Raymondine © ou de consoles Chikatoshi MX3 ©. Mais on oublie trop souvent l’homme de science, qu’il sait être si hardiment, pour la joie de tous. Puisse Balthazar Emile du Chiendent de Léon, alias le Père Noël, nous étonner encore longtemps !
Propos recueillis par David Herschel.
A demain pour une nouvelle grande question des temps modernes.